Quand Mary Teuwn Niane demandait à Wade de renoncer au 3e mandat

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Quand Mary Teuwn Niane demandait à Wade de renoncer au 3e mandat
Quand Mary Teuwn Niane demandait à Wade de renoncer au 3e mandat

Le 30 janvier 2009, j’adressais une lette à Son Excellence le Président de la République Maître Abdoulaye Wade. Je l’invitais à ne pas se présenter aux élections présidentielles de 2012, à supprimer le Sénat et à mettre en place un gouvernement d’union nationale pour terminer son mandat dans de bonnes conditions.

Le Président Abdoulaye Wade m’avait nommé Recteur le 11 janvier 2007. Il m‘a gardé à cette fonction jusqu’à la fin de son mandat en avril 2012.

En 2010, le Président Abdoulaye Wade me fit l’honneur de présider la Cérémonie officielle du vingtième anniversaire de l’Université Gaston Berger de Saint Louis.

Professeur Mary Teuw NIANE Université Gaston Berger BP234 Saint-Louis

À Son Excellence Maître Abdoulaye Wade Président de la République du Sénégal

Objet : Note sur la situation politique nationale.

Monsieur le Président de la République

J’ai l’honneur, par la présente, de soumettre à votre attention quelques réflexions que m’inspire la situation nationale. Cette démarche m’est imposée par mon adhésion aux principes et idées qui sont densément à l’œuvre dans vos pensées et action politiques.

Toutefois, j’ai beaucoup hésité avant de vous envoyer ce courrier. Dans un environnement où le soutien est réductible en soumission et le désaccord en animosité personnelle, j’ai eu la faiblesse, depuis un an, de penser qu’il y avait des risques que ma posture critique soit assimilée en une hostilité contre un homme porteur des grandes espérances de ce continent. Mais les échanges épistolaires que nous avons déjà eus sur cette question m’ont convaincu de l’inanité de mes soucis.

Si je m’y suis pris tardivement, c’est aussi en raison de mon implication dans le PDS à Saint-Louis. L’émergence de mouvements divergents et centrifuges au sein de la mouvance présidentielle m’avait dissuadé, un temps, de vous écrire de peur d’apparaître comme partisan. Mais n’ayant au PDS que vous comme référence, je me dois par soucis d’honnêteté et de sincérité à votre égard de partager, avec vous, ma lecture critique de la situation du Sénégal et des perspectives. Aussi vous demanderai-je de bien vouloir excuser la franchise de mes propos et, le cas échéant, l’impertinence de mes conclusions.

Il n’est plus contestable que le Sénégal est en crise. Celle-ci est économique, sociale, culturelle, politique et morale. Elle s’exprime par une forte perte de confiance dans la capacité du PDS, de ses cadres et de son organisation à impulser et porter les changements indispensables au développement du pays. La jeunesse urbaine, scolarisée et estudiantine, à travers des manifestations de plus en plus violentes, les grèves des apprenants comme des enseignants, les fuites suicidaires vers l’étranger et enfin ces suicides à répétions sont des indicateurs d’un désarroi profond et de détresses matérielles et morales insuffisamment pris en charge par les pouvoirs publics. La négation des valeurs cardinales de notre personnalité et de la singularité sénégalaise ont atteint un tel niveau qu’on peut craindre pour l’avenir.

Il est curieux que les signes de cette crise apparaissent au moment de la réalisation ou du lancement de beaucoup de projets dont tout africain ne peut être que fier. Donc loin de moi l’idée selon laquelle la situation actuelle est le fruit d’une inertie, de réalisation et de volonté d’accélérer la construction d’un Sénégal nouveau et émergent. Toute personne honnête ne peut que saluer votre profonde conviction et vos actions pour un destin radieux pour le Continent et, par conséquent, pour le Sénégal. A ce niveau me revient cette critique sévère du Président Léopold Sédar Senghor et qui est ici fort appropriée, à savoir, l’absence, voire, l’allergie à « l’organisation et à la méthode ». Cette déficience a la malencontreuse particularité de transformer le Bien en Mal, la Rapidité en Précipitation, la Volonté en Prétention, l’Espoir en Peur … Et c’est tellement affligeant et décourageant de constater que votre bonne foi, votre générosité, votre esprit d’entreprise et vos victoires accumulées se transforment petit à petit dans l’esprit de vos concitoyens, de plus en plus nombreux, en agacements, suspicions, colères et désespoirs.

En dépit des réductions de prix opérées ces dernières semaines, je me dois de vous dire que la vie est encore trop dure pour les couches populaires. Les classes moyennes ont vu s’effondrer les améliorations que vous aviez apportées à leurs revenus. Ces augmentations de salaires, octrois d’indemnités et attributions de privilèges ont été obtenus sans aucun respect des textes et traditions qui organisent la fonction publique. Sur simple influence de groupes de pression et de personnalités placées au cœur des centres de décision, on en arrive à un bouleversement profond de la grille indiciaire des salaires créant ainsi des pôles d’attraction et des pôles de rejet. La promotion ne se fait plus par le mérite. Des mouvements corporatistes ont rendu la grève endémique dans des secteurs comme la santé et l’éducation car on a donné l’impression que c’est le seul moyen de promotion sociale.

Le secteur de l’éducation est devenu ingouvernable. Les apprenants comme les enseignants sont désormais engagés dans un cercle revendicatif infernal dont l’issue, si des mesures courageuses et urgentes ne sont pas prises, consistera en une répétition des années blanches si les règles académiques sont respectées. Secteur jusque là épargné, l’éducation est minée par la corruption. Les examens et concours sont devenus suspects, le recrutement des volontaires et des contractuels très peu transparent, etc. Des signaux ne cessent de s’allumer invitant à une reprise en main de ce secteur qui est au cœur de la construction du sénégalais de demain. A côté du très grand nombre d’établissements construits, les anciens se meurent et les formateurs peu ou malformés. Ce dernier aspect est particulièrement valable pour les mathématiques qui faute d’enseignants qualifiés en nombre suffisant vont disparaître de l’intelligence de nos jeunes et avec elles, s’évanouira la perspective juste et ambitieuse que vous exprimez par ces mots : “ nous devons, par l’éducation et la formation, préparer les jeunes pour recevoir et faire avancer la science, qui, au terme de sa migration historique, atterrira en Afrique, le dernier continent qui reste à développer”. Car tel que le système éducatif sénégalais fonctionne, les égoïsmes disciplinaires – s’il n’y a pas de volonté politique de sauver les mathématiques – auront raison des moyens de construire notre futur.

L’enseignement supérieur, bien qu’ayant connu un développement sans précédent sous votre présidence, est aujourd’hui du point de vue de son fonctionnement, de sa gestion et de sa stabilité en delà de son niveau de la veille de la « Concertation Nationale sur l’Enseignement Supérieure » : le financement du social étouffe complètement le développement du pédagogique, les montants affectés aux bourses dont le renouvellement n’est pas encadré par les règles suffisamment incitatives pour le résultat et l’émulation, l’octroi inconsidérée de bourses pour l’étranger, l’incapacité des finances publiques de respecter la mise à disposition effective du quart des budgets des universités en début de trimestre, l’absence de gouvernance et de vision dans ce secteur, la décrédibilisation des autorités universitaires à travers des négociations et des accords pardessus leurs têtes et enfin l’absence de prévision face à l’arrivée massive de bacheliers. Pourtant plusieurs solutions sont proposées qui redonnent au CUR sa place dans la montée inexorable en puissance de l’enseignement supérieur.

Je me suis appesanti sur le système éducatif car, c’est à travers lui que le pouvoir se perd, car dans notre pays qui a la jeunesse et les femmes aura ou gardera le pouvoir.

La sociologie des syndicats montre bien que ce sont ceux tenus par les jeunes qui sont au devant des revendications, les vieilles organisations ayant définitivement perdu pieds. On retrouve cette situation à l’intérieur d’un même syndicat comme par exemple le SAES.

Nous allons vers des élections locales lourdes de conséquences, un échec conduira à une perte de légitimité du pouvoir avec le risque d’une revendication de dissolution des Assemblées en vue de l’organisation d’élections législatives et sénatoriales anticipées. Une victoire renforcera l’atmosphère détestable que nous vivons.

L’opposition ne se privera pas pour appuyer ses prétentions de mettre en avant son boycott des élections législatives de 2007 et le déphasage entre les Assemblées et l’opinion publique.

Ces élections locales arrivent à un moment difficile, le PDS et ses alliés y vont divisés, l’échec semble plus probable que le succès. Dans le cas par exemple de Saint-Louis que je connais bien, la liste Bennoo Siggil Sénégal a toutes les chances de gagner devant les frères Ousmane Masseck Ndiaye et Ameth Braya.

En démocrate je n’ai pas peur de perdre des élections mais il me semble que face à la situation politique délétère il y a des mesures à prendre !

Monsieur le Président de la République, vous devez être dans l’histoire de ce pays le bâtisseur du Sénégal moderne ! Nul autre que vous ne mérite par votre passé d’opposant et d’intellectuel et par vos réalisations de rester à jamais dans le cœur des sénégalais !

Je n’ai pas eu la chance d’être un intime, ni un familier de votre entourage et la position que j’occupe grâce à votre confiance, devrait me conduire à adopter l’attitude de la majorité de votre entourage, du gouvernement et de la direction du PDS, qui est celle que dicte la culture politique sénégalaise, à savoir attendre. Mais attendre quoi ou qui ?

Vous avez toujours été maître de l’histoire, alors, au moment où « décline la lune lasse vers son lit de mer étale », je vous en prie, Monsieur le Président de le République, osez garder la main, la Grande Main sur l’Histoire du Sénégal ! Le Sénégal a besoin, sous des formes qui sont propres à notre culture et à notre société, « de vérité, de pardon et de réconciliation ». Nous n’avons pas connu les Conférences Nationales, mais nous ne pouvons pas faire l’économie d’une introspection et d’une alternance générationnelle.

Monsieur le Président de la République, dites pour l’Histoire que vous renoncez à un nouveau mandat et appelez autour de vous, tous les sénégalais à travers un gouvernement de large union en vue de conforter l’économie sénégalaise, de travailler dans les trois ans à l’organisation consensuelles des élections locales, législatives et présidentielles et enfin, supprimez le Sénat.

Le Sénégal va alors se redresser, reprendre le flambeau de la démocratie et son leadership politique en Afrique. Et vous, Maître Abdoulaye Wade, serez à jamais dans le Panthéon de l’Histoire de l’Humanité.

Excellence, Monsieur le Président de la République, veuillez excuser ma témérité, je ne suis animé que du souci de servir mon pays, le Sénégal.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes sentiments respectueux.

Saint-Louis, le 30 janvier 2009

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