DAKARLEAKS.COM – Il n’y a pas de différence majeure entre le régime de Wade et celui de Macky. Kif kif, selon l’ancien ministre de l’Energie qui en parle dans son ouvrage.
Thierno Alassane Sall accuse les deux hommes de déprédation foncière. Il nous livre ici les bonnes feuilles sur le partage léonin que ces deux régimes en ont fait des terres des populations sénégalaises et de leur engagement politique jamais tenu.
Déprédation foncière et engagement politique
Wade et Macky deux monstres, « mangeurs » de terres. C’est ainsi qu’on pourrait résumer la déprédation foncière dont évoque l’ancien ministre de l’Energie dans son ouvrage intitulé « Le Protocole de l’Elysée ». Il rappelle les excès de Wade dans la dilapidation de notre foncier. « Au bout de son premier mandat de sept ans, Abdoulaye Wade avait littéralement fait main basse sur les réserves foncières de Dakar : l’immense domaine de la foire, les annexes du stade, la bande dite verte ceinturant l’aéroport.
Il avait en même temps créé une nouvelle race de flibustiers qui trouvaient dans le foncier une source d’enrichissement facile et sans trace. Des baux étaient établis pour les bénéficiaires ultimes qui payaient rubis sur ongle des terrains soustraits du patrimoine public et distribués en catimini à une clientèle politique mais dont de grands lots revenaient à la même petite bande de prédateurs du foncier.
En 2006, à un an des élections présidentielles et législatives, la boulimie foncière atteint ce que je prenais à tort pour un paroxysme : à cette date, la proie d’Abdoulaye Wade était la bande verte qui longeait le mur est de l’aéroport, courant d’une extrémité à une autre de la piste principale et au-delà. C’était donc une bande de plus de quatre kilomètres de long et large en moyenne d’un kilomètre. Selon les normes de l’aviation, c’était une zone non aedificandi ou soumise à des restrictions très strictes.
Au surplus, la zone étant distante de quelques centaines de mètres seulement de la piste principale, son occupation n’allait pas sans danger considérable pour ses habitants comme pour les opérations aériennes. Au-delà des nuisances sévères et incessantes aux- quelles les occupants étaient exposés, ceux-ci seraient les premières victimes potentielles d’un éventuel crash dans cette zone immédiatement contiguë à la bande de piste.
Nul besoin d’être de l’aviation civile pour appréhender le risque élevé pour les riverains du crash d’un aéronef bourré de kérosène sur des habitations en dur et souvent densément occupées. Par ailleurs, les constructions, qui ne manqueraient pas de s’y amonceler dans un enchevêtrement si typique de Dakar, rendraient difficile l’accès des secours.
Une nation qui s’était distinguée à la face du monde par la catastrophe maritime la plus meurtrière jamais enregistrée, à savoir le naufrage du bateau le Joola, s’apprêtait sciemment, délibérément, par les décisions de ses plus hautes autorités à réunir les mêmes facteurs contributifs et/ou aggravants pour éventuellement surpasser ce triste record. », révèle-t-il dans son ouvrage. Pensant que Macky était un homme « digne » et la bonne personne pour corriger cette injustice, M. Sall martèle que le chef de l’Etat était pire que son ancien patron Wade.
Il revient sur sa déception sur l’homme. « En ma qualité de Représentant de l’ASECNA, donc partie prenante à la sécurité de la navigation aérienne, je n’avais pas manqué d’alerter les autorités par des courriers adressés aux entités nationales compétentes. Ce fut avec un immense soulagement que j’appris que le chef du Gouvernement Macky Sall s’était emparé du sujet et avait convoqué une réunion à la primature.
(…) La rencontre ne connut pas les suites espérées de ma part : la bande verte fut dépecée comme un territoire conquis par une horde d’envahisseurs, des puissances de la galaxie au pouvoir grassement servies revendirent leur butin sur un marché immobilier porté à un régime démentiel par ceux-là à qui échoyait le devoir de protéger les intérêts des populations.
C’était un commerce des plus lucratifs : des personnes disposant d’une certaine influence auprès des électeurs étaient servies, de même que des hauts fonctionnaires dont les signatures ou le silence devaient être sécurisés. Les gros lots partaient vers les barons du système qui trouvaient par-là les moyens d’alimenter leurs trésors de guerre à la veille de joutes électorales. Enfin, une partie de la demande pressante en terrains dans des zones prisées était satisfaite. Bref, que du bonheur universel.
(…) Le Premier ministre, Macky Sall, sans doute ébranlé par les scènes de chaos qu’il avait constatées au cours de sa visite des quartiers submergés sous les eaux aux alentours de l’autoroute, d’Ouest foire et de Yoff (dont le dispensaire avait été évacué), réalisait ce que la razzia des réserves foncières pouvait coûter à la communauté.
La cité Bellevue, aux villas de standing, se trouvait noyée par les eaux qui naguère étaient retenues par la zone de captage. Un pan nord de la clôture de l’aéroport avait cédé sous les eaux drainées à partir des cités érigées en toute illégalité le long de la zone d’approche du seuil sud de la piste principale. Le système de drainage des eaux de l’infrastructure, composé de canaux déversant directement à la mer à travers Ngor, avait été démantelé insidieusement par des occupations irrégulières entamées au milieu des années 1990, sous le magistère d’Abdou Diouf.
C’est un Premier ministre remonté qui se présenta à l’aéroport ce matin d’août 2006, à l’issue d’une visite au dispensaire de Yoff. Il se trouvait là pour saluer le Président en par- tance pour ses innombrables voyages à l’étranger. Sa visite terminée, il avait préféré attendre le Président à l’aéroport, ce qui nous imposait de venir lui tenir compagnie. J’étais en compagnie du Directeur général de l’aviation civile et du gestionnaire de l’aéroport. »
« Macky Sall nous interpela en marquant son étonnement que le projet d’occupation de la bande verte rencontrait l’assentiment des responsables de l’aviation civile. Mes deux collègues, effectivement favorables au projet, s’employèrent à le rassurer. Pour ma part, ayant exprimé mes réserves auprès du ministre de tutelle au cours de réunions antérieures, j’observai un mutisme notoire au point où le Premier ministre, que je ne connaissais que de loin, me demanda mon opinion. « Monsieur le Premier ministre, votre intérêt pour la question m’oblige et me fait le devoir de vous donner mon opinion. Je souhaiterais toutefois le faire en présence du ministre de tutelle ». A ma grande surprise, il marqua son accord pour convoquer une réunion en présence des différentes parties prenantes sur le sujet.
Nous nous retrouvâmes donc le lendemain après-midi à la primature. Je pus mettre un visage sur une partie des intérêts derrière le projet de partage des terres de la bande verte. J’avais certes saisi quelques phrases échangées au cours de rencontres inopinées à l’occasion des voyages de Wade où il était question de quotas pour des agents de l’aviation, mais voir le Président de l’assemblée nationale et maire de Dakar, une des baronnes du PDS et ministre du premier cercle du président, d’autres ministres et hauts fonctionnaires, se serrer dans la salle de conférences du coup très étroite de la primature, renseignait sur la sensibilité du dossier et le sens des priorités en ce mois où les habitants de Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque grondaient de colère née d’un sentiment d’abandon de l’Etat face aux inondations.
Le Premier ministre présenta brièvement l’ordre du jour de la réunion, qui visait à s’assurer si les services de l’aviation approuvaient effectivement le projet d’occupation de la bande verte. La réunion fut en réalité une confrontation de deux positions divergentes entre les techniciens de l’aviation présents, le reste des participants épiant, notant et hochant la tête d’approbation ou marquant d’un silence hostile leur opposition aux points de vue qui s’affrontaient.
A ma connaissance, les protagonistes de cette joute sont encore, dans leur majorité, de ce monde, je puis affirmer sans risque de contradiction que j’étais seul contre tous. M’inscrivant contre les arguments développés par mes collègues de l’aviation civile, j’exposai de manière nette et claire les risques majeurs qu’un tel projet posait pour la sécurité des vols, celle des habitants des sites en sus des nuisances permanentes. Je rappelai les perturbations graves du fonctionnement des installations radioélectriques induites par les immeubles et les objets en tout genre irrégulièrement implantés autour de l’aérodrome qui avaient amené les autorités de l’aviation à faire détruire dans un passé récent des constructions sur la même zone. Comment comprendre que, toutes choses étant égales par ailleurs, il soit envisagé d’occuper non seulement les mêmes emplacements mais bien au-delà ?
Je frappai les esprits en rappelant, pour réfuter la théorie d’un des collègues sur les performances des avions modernes et le faible risque de crash dans la bande, qu’un pilote ne choisit jamais de s’écraser et en cas d’accident, dispose malheureusement de très peu d’options sur les points d’impact. L’un des derniers accidents à date étant celui du concorde, je fis remarquer que peu de gens seraient disposés à parier qu’un hôtel de la petite ville de Gonesse près de Paris, fût directement touché par le drame. Par ailleurs, plus de la moitié des accidents d’avions surviennent en phases de dé- collage ou d’atterrissage, c’est-à-dire dans ou à proximité des aérodromes.
Je fis une remarque délibérément provocatrice, espérant toucher le reste de sens des responsabilités de ces personnages, costumés tels des hommes d’Etat mais agissant en rapaces : le désastre du Joola devrait rappeler au Sénégal le tribut humain à consentir quand une nation se fie des normes de navigation. Je fis remarquer, pour conclure, que le ministre Ousmane Masseck Ndiaye avait consacré deux réunions sur le sujet mais avait sans doute été conforté par l’avis quasi unanime des techniciens sur la viabilité du projet. J’ai pu observer au fil de mon itinéraire professionnel au Sénégal, comment des hommes de l’art falsifient ou à tout le moins omettent de rappeler les règles de leurs métiers par intérêt ou par peur pour leurs positions de sinécure.
Alors, Macky Sall tira une conclusion qui participa pour beaucoup à me le rendre sympathique et sur le moment respectable. Il déclara le projet inapproprié et leva la séance. Alors que je me tenais comme le reste de l’assistance debout, attendant qu’il se retirât, il s’approcha de moi et me dit de façon à être entendu par le plus grand nombre : « mes félicitations pour la manière dont vous avez présenté votre position ». Plus tard ce soir-là, je reçus un coup de téléphone d’Ousmane Masseck Ndiaye. Alors que je préparais une formule pour lui expliquer le dilemme que j’avais vécu entre mon amitié à son endroit et ma loyauté à ce qui me semblait être les intérêts de la République, il me dit : « Thierno, le Premier ministre m’a demandé de vous féliciter pour votre courage ».
(…) Mes premières impressions favorables à Macky Sall furent confortées au cours des rencontres suivantes sur des dossiers sensibles, celui de la compagnie Air Sénégal International en particulier. Autant nos vues convergeaient sur ces dossiers, autant je fus surpris et marqué par la divergence d’opinions sur ces questions entre lui et le Président Wade. En outre, il semblait posséder cette faculté rare à ce niveau de responsabilités à accepter un point de vue dissonant.
Deux amis communs que j’avais connus dans l’aviation civile participèrent par la suite à davantage nous rapprocher, Mamadou Dieng et Mor Ngom. Ce dernier permit d’établir et d’entretenir un canal de communication entre le désormais Président de l’assemblée nationale, mais sur un perchoir de plus en plus précaire, et l’ancien représentant de l’ASECNA que je suis devenu en ce début de l’année 2008.
Bien avant l’affaire de la convocation de Karim Wade, président du Conseil de surveillance de l’ANOCI, j’avais le sentiment au mois de janvier 2008 pour l’avoir sondé, que Macky Sall se préparait à l’éventualité d’une opposition à Wade.
Je ne saurais affirmer que tel était son choix, je crois même que les diatribes incessantes de Farba Senghor lui auguraient l’hallali, ne lui laissant d’autre option que de s’y préparer. Il connaissait le milieu et avait lui-même naguère participé à ces sortes de rites sacrificatoires de la maison Wade.
D’autres que moi, du premier cercle de Macky Sall, le poussaient à entreprendre une vie en dehors du PDS. Sa famille propre, en particulier son épouse dut jouer un rôle décisif dans l’armement moral.
(…) C’est dans une telle séquence historique de décomposition d’un régime, favorable en une recomposition profonde que l’APR fut mise sur pied.
(…) Dans mon proche entourage, plutôt porteur des idéaux de progrès et d’émancipation de l’Afrique, mon engagement à l’APR, aux côtés de l’ancien premier ministre de Wade et ci-devant président d’une assemblée nationale plus que jamais chambre de légalisation de toutes les dérives de Wade, ne passait pas bien. Comment un homme, qui a applaudi toutes les dérives de Wade et ne l’a quitté que poussé quasiment au départ, peut-il porter un changement, m’objectait-on.
Ce furent des moments pénibles de justifications. J’expliquais mon choix par un faisceau d’espérances plus que par une adhésion sans réserve. Un besoin irrépressible d’agir pour contrer le péril destructeur de la gouvernance de Wade me pressait. Restait à trouver un cadre dans lequel militer. La création de l’APR constituait pour moi une aubaine, en ce qu’elle permettait de participer à dessiner les contours d’une nouvelle offre politique et à tenter de façonner de rapports plus démocratiques au sein de l’organisation. Parce que pour l’essentiel, les membres fondateurs de l’APR appartenaient à la génération née après l’indépendance ou avaient fait leurs classes dans des cadres où l’aspiration à la démocratie interne était forte, j’imaginais qu’ils n’accepteraient pas de laisser se reproduire les tares qui minaient le PDS et les autres partis et qui précisément poussaient beaucoup de jeunes vers le nouveau parti. D’ailleurs, c’est tout naturellement que la rupture d’avec les politiciens et les politiques traditionnels s’était imposée comme un marqueur dans la ligne de l’APR. Il y était beaucoup question de compagnonnage entre des pairs (And nawle, à l’opposé de la soumission aveugle aux décisions d’un père fondateur qui tenait de règlement intérieur aux partis dominants de l’espace politique), de restauration des valeurs d’honneur et de dignité, de gestion sobre et ver- tueuse.
J’avais la faiblesse de croire, d’espérer sans excès de naïveté, que la masse critique d’intellectuels et de jeunes militants, révoltée par la situation du Sénégal et avertie des ravages sur les destinées d’un pays de la sujétion d’un parti à un homme, ne laisserait pas se reproduire un modèle dont elle constatait l’échec et qu’elle voulait détruire.
De surcroît, il ne me semblait pas que Macky Sall fût de nature à restaurer une autocratie à la Wade. Au contraire, au gré de rencontres particulières que j’avais pu avoir avec lui, comme je l’ai déjà conté, il m’apparaissait comme un homme porté vers la rationalité et supportant la contradiction. Je disais avec conviction et espoir qu’un homme qui, en qualité de premier ministre a pu affronter un lobby puissant du PDS, sur la question de la bande verte pour préserver les intérêts nationaux et a encouragé mes positions divergentes d’avec celle de ses ministres, était un adepte de la liberté d’expression. Je ne le croyais pas exempt de tout reproche et je me souviens de certaines questions que je lui avais posées en présence de témoins, pour lever certains doutes, par exemple sur l’incident du vote sans présenter sa carte d’identité nationale à Fatick.