La proposition de loi portant sur la criminalisation de l’homosexualité risque de coûter cher au Sénégal, si elle est votée. Perte d’influence, baisse des financements, préjudice d’image etc. Les conséquences sont loin d’être négligeables.
L’affaire commence déjà à faire grand bruit. La proposition de loi portant sur la criminalisation de l’homosexualité au Sénégal devant être déposée la semaine prochaine, sur le bureau du président de l’Assemblée nationale, est sur toutes les lèvres et commence à avoir un retentissement mondial. Les médias internationaux ont accordé une part belle à ce dossier on ne peut plus sensible sous nos cieux. Washington post, Reuters, CNN… Presque tous les grands médias occidentaux ont évoqué le sujet dans leurs éditions. Et c’est d’ailleurs sur Reuters que le nommé Djamil Bangoura, militant Lgbt sénégalais et président de l’association Prudence, a lancé un appel à la communauté internationale, lui demandant de faire pression sur les autorités sénégalaises pour qu’elles rejettent cette nouvelle loi en gestation.
«Lorsque les libertés individuelles, en particulier les plus sacrées – la vie privée entre adultes consentants – sont attaquées, il reste peu de temps pour se rendre compte que la démocratie est en danger», a confié Bangoura à Reuters, des propos repris par le site Web du média américain CNN. Et selon le journaliste et analyste politique, Cheikh Yérim Seck, ce n’est pas seulement la démocratie qui est en danger. Les relations du Sénégal avec certains pays ou organismes internationaux risquent d’en pâtir, au regard des accords et traités signés.
«Le Sénégal sera inscrit sur liste rouge»
«Il faut savoir que tous les organismes qui interviennent sur le plan international mettent en avant ce qu’on appelle les droits humains, et par droits humains, dans son acception actuelle, il faut entendre le respect des droits des Lgbt», explique l’ancien reporter de Jeune Afrique. «Parce que, souligne Cheikh Yérim, les plus grandes puissances du monde, Etats-Unis, Canada, France… ont décidé que la culture, la pratique Lgbt doit être au cœur de la vie de tous les Etats du monde.
Donc une fois que cette loi sera votée, le Sénégal sera d’abord inscrit sur liste rouge, comme étant un pays où les droits des minorités sont brimés. Et cela se traduira par une perte d’influence réelle de notre pays sur l’échiquier international, il ne faut pas avoir peur des mots. Cela se traduira aussi par une dégringolade du Sénégal sur tous les tableaux de classement des pays, selon ce que les Occidentaux définissent comme étant leurs normes de bonne conduite, de bonne gouvernance.» Selon toujours Cheikh Yérim Seck, la conséquence première du vote de cette loi sera «un préjudice d’image, le Sénégal va être rétrogradé d’un rang de démocratie à un rang de pays presque dictatorial, irrespectueux des droits des minorités.» Les conséquences seront également économiques, par rapport notamment à l’octroi de certains financements. «Dans la majorité écrasante des financements, on pose des conditions comme le respect des droits humains, les droits des minorités, sous entendu les droits des Lgbt, signale Cheikh Yérim Seck. Il y a beaucoup de programmes de développement dans le cadre de l’éducation, du développement humain, qui risquent d’être interrompus une fois que cette loi sera votée.»
«Le vote de cette loi va indubitablement générer une sorte de boycott économique du Sénégal»
Avec le vote de la proposition de loi criminalisant l’homosexualité, beaucoup de partenaires bilatéraux du Sénégal risquent de réduire drastiquement leur assistance, croit savoir Cheikh Yérim Seck, qui ajoute que beaucoup de programmes dans beaucoup de domaines seront interrompus. «Sur ce plan précis, il faut sans risque de se tromper affirmer que le vote de cette loi va indubitablement générer une sorte de boycott économique du Sénégal par les organismes internationaux qui pilotent certains grands programmes, et par certains grands pays occidentaux, c’est évident.» Pour M. Seck, le vote de cette loi est un défi de civilisation très important, au vu de la sensibilité religieuse du pays, mais aussi un défi économique. «Le Sénégal doit comprendre qu’il prend un risque économique colossal en votant une loi de ce type dans le contexte mondial actuel. Et pour relever ce défi de civilisation, il faut, en même temps, relever le défi économique, il faut que le Sénégal se donne les moyens de sa politique, les moyens d’une autonomie économique, pour ne pas être perméable à un certain chantage économique dans l’intérêt de la promotion de la culture Lgbt.»
Le dépôt de la proposition de loi reporté
Au départ, il était prévu de présenter aujourd’hui au président de l’Assemblée nationale la proposition de loi modifiant l’article 319, alinéa 3 du Code pénal, en instituant la criminalisation des Lgbt+ (Lesbienne, gay, bisexuel et transgenre), et en remplaçant le terme “actes contre nature” par lesbianisme, homosexualité, bisexualité, transsexualité, intersexualité, zoophilie, nécrophilie et autres pratiques assimilés. Portée par les députés Cheikh Bamba Dièye, Alioune Souaré, Moustapha Guirassy et Mamadou Lamine Diallo, avec cette proposition de loi, les homosexuels reconnus coupables d’actes contre-nature risquent jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Les modifications de l’article 319 prévoient une peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement ferme et une amende de 1.000.000 FCFA à 5 000 000 F CFA, sans possibilité d’accorder des circonstances atténuantes à quiconque aura été reconnu coupable d’actes contre – nature ainsi définis par lesbianisme, homosexualité, bisexualité, transsexualité, intersexualité, zoophilie, nécrophilie et autres pratiques assimilées.
L’apologie desdites infractions par tout moyen de diffusion publique ou le financement de toute activité relative à l’agenda LGBT sera punie d’une peine de 3 à 5 ans d’emprisonnement ferme et d’une amende de 500.000F CFA à 5.000.000 F Cfa. Les homosexuels condamnés risquent également une déchéance de leurs droits civiques, civils et de famille. Le délai de prescription de l’action publique est de sept ans. Mais au final, le texte ne sera déposé que la semaine prochaine. Après une rencontre, hier mardi, afin de procéder à des réglages, les députés ont reporté le dépôt de la proposition à une date ultérieure. Probablement la semaine prochaine.
La fatwa de Jamra contre les députés qui ne voteront la proposition de loi
Jamra est dans le doute. L’organisation islamique applaudit l’initiative des députés qui vont déposer une proposition de loi criminalisant l’homosexualité (voir ci-contre), mais elle appelle à la vigilance. Mieux, Mame Makhtar Guèye et ses amis lancent une «fatwa» contre les députés tentés de ne pas soutenir la proposition de loi de leurs collègues élus. Dans un long communiqué publié hier, Jamra et Mban Gacce «invitent les électeurs à sanctionner négativement, lors des prochaines Législatives, tout député qui s’abstiendra de voter cette loi, qui a déjà reçu la bénédiction de tous les khalifes généraux du Sénégal, mais également des leaders des religions traditionnelles du bois sacré».
Jamra a tenu à alerter pour éviter que le Sénégal se retrouve dans la même situation que le Gabon où les lobbies Lgbt «ont réussi à faire légaliser l’homosexualité par l’Assemblée nationale, le 23 juin 2020 et par le Sénat le 29 juin». Ce qui pourrait doper leur détermination «à venir à bout de la légendaire résistance sénégalaise». Mais, rassure Jamra, «le vaillant peuple sénégalais, imbu de ses valeurs traditionnelles que lui ont généreusement léguées ses vaillants ancêtres et les grandes figures religieuses qui reposent en terre sénégalaise, est déterminé à leur montrer que le Sénégal appartient au peuple sénégalais. Et que l’agenda maçonnique des lobbies Lgbt ne sera agréé sur cette terre bénie».
ADAMA DIENG